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Les origines de la psychiatrie

 

La meilleure façon de comprendre la psychiatrie actuelle est de comprendre la psychiatrie d'antan. L'histoire de la médecine remonte au moins à la Grèce antique. A l'inverse, la psychiatrie est une discipline jeune. C'est en 1676 que Louis XIV décréta l'ouverture des hôpitaux généraux de France. Ceci afin d'enfermer les "débauchés, les pères dépensiers, les fils prodigues, les blasphémateurs, les hommes qui "cherchent à se défaire" et les libertins". Ce décret marque le début de "l'emprisonnement à grande échelle des fous".

 

 

En réalité, les hôpitaux généraux français n'étaient que des institutions privatives de liberté. Aucune thérapie n'y avait cours. En revanche, les horribles conditions qui y régnaient faisaient leur réputation. On y flagellait les détenus enchaînés, lesquels vivaient dans une absence totale d'hygiène. C'est dans ces asiles que le gardien d'institution développa son expertise. Il est le prédécesseur direct du psychiatre institutionnel. L'expression anglaise "snake pit" (fosse aux serpents) - expression d'argot pour hôpital psychiatrique - remonte à cette époque. On jetait alors les fous dans une fosse grouillante de serpents. Ce choc était censé les ramener à la raison. 

Travailler dans les asiles n'était pas des plus valorisant. Néanmoins, les "psychiatres" d'antan formulaient des "revendications légitimes quant au statut de discipline médicale". En effet, selon eux, "diriger un asile d'une façon thérapeutique constituait un art et une science aussi complexes que la chimie ou l'anatomie". La psychiatrie s'est résolument cramponnée à cette revendication pendant 100 ans, malgré les preuves accablantes du contraire. On acceptait donc la psychiatrie comme étant nécessaire. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après la Révolution de 1789 les fous sortent des prisons pour les asiles d'aliénés. Le rôle du personnel se réduit cependant trop souvent à celui des gardiens. Le souhait des aliénistes de l'époque est de faire de ces maisons d'aliénés un lieu de guérison. Philippe Pinel rencontre le surveillant Jean-Baptiste Pussin à l'asile de Bicêtre lorsqu'il y est nommé en 1793 ; puis, nommé médecin-chef de la Salpêtrière en 1795, avec Pussin qui y fut muté quelques années plus tard à la demande de Pinel, ils décident de retirer leurs chaînes aux fous après avoir constaté que certains le sont par période, et d'autres continuellement. Ils entreprennent de classer les maladies mentales en catégories selon leurs signes cliniques, leur continuité ou discontinuité, les crises de folie, etc. La psychiatrie est née. Cependant, le concept de lésion synonyme de maladie perdure, on ne parle pas encore de maladies à causes psychiques.

Mais la médecine s'en méfiait et s'assura qu'on la confine "dans une situation marginale", relatent Alexander et Selesnick dans leur ouvrage sur l'histoire de la psychiatrie. La psychiatrie subissait donc la ségrégation de ses confrères médecins. Alors que la médecine avançait à vive allure sur sa voie sûre et scientifique vers des découvertes majeures, les psychiatres développaient leurs propres idées indépendantes du modèle scientifique. "Une nouvelle génération de médecins d'asiles grandit, pleine de confiance dans son aptitude à soigner" selon Edward Shoter dans son ouvrage Histoire de la psychiatrie. 
 

On doit le mot psychiatrie - signifiant étude de l'âme - à Johann Reil. En 1803, avant d'avoir inventé ce terme, il parlait des premiers gardiens comme suit : "ils se portaient immédiatement volontaires pour améliorer le sort des fous." Il y faisait référence en évoquant "une race d'hommes courageux" prêts à s'attaquer à "cette gigantesque idée" de "débarrasser la surface de la terre d'un des fléaux les plus dévastateurs". Autrement dit, les pionniers de la psychiatrie pensaient pouvoir éliminer la folie. 

 

En 1820 Jean-Etienne Esquirol succède à Pinel à la Salpêtrière. Esquirol reprend les idées de son prédécesseur pour donner naissance à la réglementation psychiatrique de 1838, restée en vigueur jusqu’en 1990. Un hôpital psychiatrique par département et deux mesures d'internement : le placement d'office (PO) et le placement volontaire (PV de par la volonté du peuple). Il s'agit là d'une loi de protection de la société avant tout. Un malade peut être hospitalisé avec son consentement. Il est alors en service libre.

Jean-Martin Charcot, éminent clinicien, anatomo-pathologiste et chef de file de l'École de la Salpêtrière, déclare à la suite de ses études sur l'aphasie, le sommeil et l'hystérie, que pour certaines maladies mentales, il n'y a aucune lésion organique. Il invente alors le concept de lésion dynamique fonctionnelle. Puis, il se prononce en faveur d'une étiologie psychique des maladies mentales. Il fait notamment des représentations pour expliquer le déroulement des crises hystériques, auxquelle sSigmund Freud, alors jeune médecin, assiste. C'est à la suite de ceci qu'il étudiera l'effet de pratiques comme l'hypnose sur les malades et, n'étant pas satisfait par cette méthode, décide d'écouter et de faire parler les personnes atteintes de pathologies mentales. Il crée ainsi la psychanalyse.


Reil fut le premier à affirmer que les méthodes de traitement psychiques relevaient des méthodes médicales et chirurgicales. Ses "traitements psychiques" consistaient en massages, corrections, flagellations et opium. Parmi ses "cures" figuraient la "chaise de Darwin". On y faisait tourner les malades mentaux jusqu'à ce que du sang suinte de leur bouche, oreilles et nez. Se pratiquaient aussi les cures de castration et de privation de nourriture. 
En 1911, Theodric Romeyn Beck auteur de la Dissertation Inaugurale sur la Folie, décrivait le traitement moral en ces mots : "convainquez les lunatiques de l'autorité absolue du médecin ..." et "s'ils font preuve d'indiscipline, interdisez-leur la compagnie des autres, utilisez la camisole de force et isolez-les dans une pièce sombre et tranquille". 
En 1918, Edwin Kraepelin, pionnier de la pyschiatrie, définissait un psychiatre ainsi : "un chef absolu, qui guidé par nos connaissances actuelles, pourra intervenir sans pitié dans les conditions de vie des gens et obtiendra sûrement en quelques décennies, une baisse correspondante de la folie." 

La vie dans les grands hôpitaux psychiatriques (ou asiles) était rythmée de façon immuable. Toute transgression était sévèrement punie, les traitements curatifs peu nombreux. Des méthodes comme la saignée, l'utilisation de purgatifs, sédatifs (type bromure de potassium), vomitifs ou de l'eau (notamment labalnéothérapie) pour ses vertus relaxantes (techniques relevant de la théorie des humeurs) côtoient des méthodes barbares (comme faire frôler la mort au malade pour provoquer un état de choc). Le choix du personnel commence à évoluer. Ces grands hôpitaux vivent en autarcie. Les malades, le personnel, les médecins vivent ensemble à l'intérieur des murs. Les sorties sont rares et les malades sont souvent internés à vie car la guérison est rare (5 % des patients de la clinique de Passy de l'aliéniste Émile Blanche ressortent guéris), si bien qu'en France le nombre d'aliénés passe de 10 000 en 1838 à 110 000 en 1939 (époque où les asiles sont huit fois plus peuplés que les prisons de droit commun), le Centre Hospitalier Général de Clermont-de-l'Oise étant alors le plus grand asile d'Europe. Ce constat pessimiste aboutit au milieu de ce siècle à la théorie de la dégénérescence.

 

Au début du XXème siècle on trouve encore dans certains ouvrages de médecine les traitements suivants : bromure de potassium, valériane, opium, morphine. Pour le traitement de la crise : eau froide, compression des ovaires/testicules, flagellation.

En 1937, en France, le terme d' "asile" disparait de la terminologie officielle pour être remplacé par celui d' "hôpital psychiatrique". Le terme d' "aliéné" restera en vigueur jusqu'en 1958.

Sous l'influence de théories eugénistes, des programmes de stérilisation contrainte visant notamment les malades mentaux sont mis en place dans de nombreux pays d'Amérique et d'Europe ainsi qu'au Japon. Le cadre légal qui permet ces pratiques disparait dans les années 1970 en Suède, et dans les années 1980 en Suisse dans le canton de Vaud.

L'Allemagne nazie extermine les malades mentaux dans le cadre de l'Aktion T4. Hitler ayant entendu une théorie selon laquelle "les troubles mentaux sont héréditaires", il décida de lancer en 1939, l'Aktion T4 qui avait pour but d'exterminer tous les malades mentaux, car "ils étaient tous susceptibles de nuire à la race aryenne", tels que les homosexuels, les roms et les Juifs. Hitler ordonna donc directement aux psychiatres du troisième Reich de faire de leurs hôpitaux psychiatriques, des camps d'extermination (comme celui de Pirna, dans la banlieue de Dresde où je suis allé en Allemagne). Ces médecins nazis prenaient tellement de plaisir qu'ils continuèrent le massacre, même sur des personnes non-atteintes. Ils ont même fêté la mort du 100 000ème tué.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La lobotomie (aussi appelée leucotomie), opération chirurgicale du cerveau qui consiste en une section ou une altération de la substance blanche d'un lobe cérébral, est formalisée en 1935 par les neurologues portugais Egas Moniz et Almeida Lima de l'Université de Lisbonne, ce qui leur vaut un Prix Nobel en 1949. Entre 1933 et 1944, certains médecins allemands nazis s'essaient à la lobotomie, souvent sans anesthésie ni antiseptique, sur les prisonniers des camps de concentration.

La lobotomie connaît son essor après la seconde guerre mondiale, notamment avec l'invention américaine de Walter Freeman : le pic à glace. On estime que quelque 100 000 patients furent lobotomisés dans le monde entre 1945 et 1954 dont la moitié aux États-Unis. Freeman parcourt les États-Unis dans les années 1950 dans un autocar équipé pour pratiquer des lobotomies « en série », enfonçant ce pic à glace dans le lobe orbitaire des patients après avoir soulevé la paupière (lobotomie trans-orbitale), moyennant parfois une anesthésie locale. Cette pratique, le plus souvent combinée à des électrochocs, a alors un grand succès (grand mouvement de "l'hygiène mentale") et on estime que Freeman à lui seul lobotomisa quelque 4 000 patients. La lobotomie est alors utilisée pour traiter les maladies mentales, la schizophrénie, l’épilepsie et même les maux de tête chroniques. Dès les années 1950, de sérieux doutes concernant cette pratique commencent à se faire entendre et avec la découverte des produits neuroactifs plus efficaces et moins dangereux (les neuroleptiques), cette pratique décline dès les années 1960.

Les abus de ces méthodes discréditeront un temps les tenants de la psychiatrie organiciste (en faveur d'une causalité biologique des troubles mentaux et d'un traitement spécifique).

 

D'autres traitements sont utilisés, comme la cure de Sakel (abandonnée aujourd'hui) et la sismothérapie (électrochocs) qui n'est plus utilisée aujourd'hui que dans des conditions rigoureuses lors de cas très précis (accès mélancolique grave ou schizophrénie résistant aux traitements médicamentaux).

En 1952, Henri Laborit observe par hasard que le largactil a des propriétés myorelaxante et le propose en psychiatrie pour calmer les agités. C'est l'arrivée des neuroleptiques qui révolutionne la psychiatrie. Jean Delay et Pierre Deniker envisagent une resocialisation pour des milliers d'internés. Roland Kuhn, psychiatre suisse, découvre le premier antidépresseur (imipramine).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vers les années 1960 des méthodes plus douces sont également utilisées en traitement des psychoses comme les packs (méthode d'enveloppement humide). Des techniques de soins par la parole et les psychothérapies font leur apparition.

De nombreux courants d'idées souvent antagonistes apparaissent (psychiatrie organiciste contre psychiatrie psychanalytique, ambulatoire contre institution par exemple).

En France, une circulaire ministérielle de mars 1960 crée la politique de secteur psychiatrique grâce à l'action des médecins désaliénistes. Les grands hôpitaux psychiatriques et le cadre unique cèdent la place aux petites structures et au maintien des malades mentaux au sein de la cité. Les infirmiers psychiatriques deviennent infirmiers de secteur psychiatriques (dont la formation spécifique s'arrêtera en 1992 ) et les psychologues deviennent de plus en plus présent dans les services. Peu à peu les aides soignants, les aides médico-psychologique et les agents des services hospitaliers sont inclus dans les services ainsi que du personnel spécialisé (ergothérapeutes, assistants sociaux, éducateurs spécialisés).

Parallèlement la loi de 1838 va céder la place à celle du 27 juin 1990 en mettant l'accent sur le soin et le renforcement des droits du malade. Elle conservera toutefois les deux modes d'hospitalisation sans consentement. Le placement d'office est remplacé par l'hospitalisation d'office. Le placement volontaire (sous entendu, par la volonté du peuple) cède la place à l'hospitalisation à la demande d'un tiers. Les patients ayant donné leurs consentements sont en hospitalisation libre.

 

Alors que son Histoire est très sombre et mal vue, la psychiatrie sauve aujourd'hui, grâce à sa dure et longue évolution, des vies.

© 2014 par Lucas Bros

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